La théorie Ocean bleu : créer son marché sans concurrence

La théorie Ocean bleu : créer son marché sans concurrence

Un marché sans concurrence ? Et si c’était possible ?

Dans un univers entrepreneurial souvent rythmé par la guerre des prix, la bataille de parts de marché ou la course à l’innovation incrémentale, la théorie de l’Océan Bleu apporte une alternative rafraîchissante, presque contre-intuitive : et si vous décidiez de ne plus combattre, mais d’innover autrement ? Créer votre propre espace stratégique, loin de la concurrence, c’est là toute la promesse de cette approche. Mais encore faut-il comprendre comment s’y prendre…

Popularisée par W. Chan Kim et Renée Mauborgne dans leur ouvrage Blue Ocean Strategy, cette théorie s’adresse à ceux qui ne veulent pas jouer dans le bac à sable des autres, mais construire leur propre terrain de jeu. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, il ne s’agit pas d’un vœu pieux ou d’une utopie pour startuppeurs en quête de licorne. C’est une méthode concrète, stratégique, que chaque entreprise — petite ou grande — peut utiliser pour réinventer son positionnement.

Océan Rouge vs Océan Bleu : comprendre les deux mondes

Avant de plonger dans le vif du sujet, balayons rapidement les bases. Dans la théorie :

  • Les Océans Rouges : ce sont les marchés traditionnels, existants, où les règles du jeu sont établies. Les concurrents s’affrontent pour grappiller une part de marché. On y assiste à des batailles de prix, des copies plus ou moins améliorées, et peu de différenciation réelle. Bref : rouge, à cause du sang versé dans la lutte.
  • Les Océans Bleus : ce sont des espaces stratégiques inexplorés, des marchés vierges que l’on crée en générant une demande nouvelle. Ils offrent une alternative, loin des codes établis et de la confrontation directe.

Passer d’un Océan Rouge à un Océan Bleu, c’est transformer complètement sa manière de penser son produit, son service, voire son industrie. Et cela repose sur une capacité clé : innover autrement, de manière à rendre la concurrence… tout simplement obsolète.

Cas emblématiques : ces entreprises qui ont sauté le pas

Inutile d’aller chercher bien loin pour trouver des exemples. Prenons Cirque du Soleil. L’industrie du cirque était moribonde, entre baisse d’intérêt du public et critiques sur le bien-être animal. Que fait cette entreprise canadienne ? Elle fusionne théâtre, musique live, scénographie sophistiquée avec les arts du cirque traditionnels. Résultat : une nouvelle catégorie de divertissement, avec un public prêt à payer des prix nettement supérieurs sans une once de concurrence directe.

Autre exemple bien connu : Nintendo et sa console Wii. À l’époque où Sony et Microsoft se livrent une bataille technologique axée sur la puissance graphique, Nintendo choisit délibérément une autre voie : des capteurs de mouvement, une simplicité d’usage, et un public plus large (enfants, seniors, familles). Moins de performance, plus d’expérience. Résultat : plus de 100 millions d’unités vendues et une rupture stratégique spectaculaire.

Et si vous pensez que seuls les géants peuvent s’offrir ce luxe, détrompez-vous. Une TPE de services peut tout autant créer son Océan Bleu. Prenez une entreprise de nettoyage de bureaux qui décide de proposer un abonnement mensuel all-inclusive, sans engagement, avec suivi digitalisé et segmentation par ambiance de travail (startup, lieux créatifs, cabinets médicaux). Elle réinvente son métier plutôt que de se battre sur le prix au m².

La matrice ERAC : l’outil clé pour changer les règles du jeu

La théorie n’a de valeur que si elle est opérationnelle. Et c’est là où le modèle ERAC (Éliminer, Réduire, Augmenter, Créer) entre en jeu. C’est la boussole des créateurs d’Océans Bleus :

  • Éliminer : Quelles caractéristiques considérées comme acquises dans l’industrie pouvez-vous supprimer ?
  • Réduire : Qu’est-ce qui peut être diminué bien en-dessous des standards actuels ?
  • Augmenter : Quels éléments mériteraient d’être renforcés pour séduire davantage votre cible ?
  • Créer : Quels attributs entièrement nouveaux pouvez-vous proposer pour capter une demande inexploitée ?

Prenons le cas d’une entreprise de consulting B2B qui applique ERAC :

  • Éliminer : Supprimer les réunions interminables et les reportings inefficaces.
  • Réduire : Diminuer la durée moyenne des missions de 3 mois à 3 semaines.
  • Augmenter : Renforcer l’accompagnement post-mission via du coaching mensuel automatisé + intérim digitalisé.
  • Créer : Une plateforme collaborative où les clients suivent le progrès en temps réel et s’auto-forment en parallèle.

Cela permet de redéfinir entièrement la valeur perçue de leur offre… en sortant du moule classique d’un cabinet de conseil.

Petit rappel : L’innovation ne veut pas dire complexité

Beaucoup d’entrepreneurs confondent innovation avec complexité technique. C’est une erreur courante. L’innovation stratégique d’un Océan Bleu porte souvent sur le business model, la promesse client, l’expérience utilisateur — pas nécessairement sur la technologie.

Un restaurateur qui propose un abonnement mensuel pour un repas sain livré chaque jour à ses clients pros, c’est une innovation produit et modèle économique, sans R&D de laboratoire.

La valeur ici ne réside pas dans la « techno », mais dans la pertinence, la simplicité et l’alignement avec un besoin mal couvert ou ignoré.

En d’autres termes : on ne vous demande pas de réinventer le microprocesseur. Mais de repenser ce que vous apportez à vos clients, comment, à quel prix, et dans quel cadre.

Les erreurs à éviter quand on veut sortir de la mêlée

Créer un nouveau marché n’est pas une promenade de santé. Voici quelques pièges fréquents :

  • Penser uniquement en termes de technologie : comme dit plus haut, c’est la valeur perçue client qui fait naître un Océan Bleu, pas la techno en elle-même.
  • Confondre nouveauté et utilité : innover n’a de sens que si cela résout un vrai problème.
  • Lancer trop tôt : sans test ni itération, on peut manquer l’adéquation marché — et le naufrage est rapide.
  • Négliger le storytelling : quand on crée une nouvelle offre, il faut savoir l’expliquer, l’incarner, la rendre désirable.

Sur ce point, j’ai vu plusieurs PME échouer non pas par manque d’innovation, mais parce qu’elles ne savaient tout simplement pas « vendre » leur nouvelle vision — ni à leurs clients, ni à leurs collaborateurs internes.

Comment intégrer cette stratégie dans votre entreprise (même si vous n’êtes pas Apple)

Ne vous laissez pas impressionner par les grands noms. L’approche Océan Bleu peut s’appliquer à toutes tailles d’entreprise. Voici quelques pistes actionnables :

  • Observez votre écosystème client autrement : Quels segments non adressés ? Quels irritants récurrents ? Quelle valeur perdue dans votre chaîne de valeur ?
  • Interviewez vos utilisateurs finaux : Ce n’est pas ce que vous vendez, c’est ce qu’ils achètent vraiment. Et parfois, ce n’est pas la même chose.
  • Organisez un atelier ERAC avec vos équipes métier : croisez les points de vue, grattez les évidences, imaginez l’impensable.
  • Faites petit, mais osez vite : créez une offre test, même beta. L’objectif ? Mesurer la traction et ajuster. Sans attendre l’exhaustivité parfaite.

Rappelez-vous : il vaut mieux tester une idée imparfaite dans un marché de niche mal desservi, que livrer tard une offre trop léchée… dans un marché saturé où personne ne vous attend plus.

Vous êtes prêts à plonger ?

Alors, voulez-vous continuer à croiser le fer sur un marché saturé où la guerre des prix est la norme… ou préférez-vous créer une offre unique, alignée avec des besoins non couverts, dans un univers à inventer ?

Adopter une stratégie d’Océan Bleu vous demande de repenser vos angles morts, de remettre en cause ce qui « va de soi » dans votre marché, et de faire preuve de courage entrepreneurial. Mais le jeu en vaut (largement) la chandelle.

On ne construit pas une entreprise remarquable en jouant avec les règles des autres. On y parvient en changeant les règles du jeu. Et parfois, en quittant l’arène totalement.

À vous de jouer.